J-16 : Souvenirs olympiques de Lucien Guiguet médaillé de bronze en 1968 par équipe

23 juillet 2024  //  
JO 2024  //  

De gauche à droite, Raoul Gueguen, Jean-Pierre Giudicelli et Lucien Guiguet 3e par équipe en 1968

 

Nous sommes à 16 jours des épreuves de pentathlon moderne Paris 2024 et aujourd’hui vous allez avoir le droit à un récit exceptionnel. La FFPM souhaitait réaliser un article sur la médaille de 1968 et a contacté Lucien Guiguet. Le natif de Cherchell en Algérie a envoyé ses souvenirs olympiques en nous racontant notamment comment s’est faite la sélection et la longue période de préparation aux Jeux Olympiques de Mexico.

Dans l’équipe de 1968 médaillée de bronze, il était accompagné du regretté Jean-Pierre Giudicelli qui nous a quitté le 28 avril dernier et Raoul Guéguen, Christian Châtillon était le remplaçant. On remercie grandement Lucien Guiguet pour ce témoignage fort dans ce qu’était le pentathlon à l’époque et ses origines militaires, le programme intense des différents stages… Vous allez avoir ensuite des anecdotes croustillantes sur les JO de Mexico. Bonne lecture !

 

Souvenirs olympiques

 

Nous étions en 1966, sous-officiers au 1er RPIMa avec Jean-Pierre Giudicelli. Notre spécialité à tous les deux était le sport et plus particulièrement le pentathlon militaire. À vrai dire, nous étions les meilleurs du régiment dans cette discipline. À cette époque, l’officier responsable des sports à la 11e Division parachutiste à laquelle appartenait le régiment était le Commandant Guéguen.
Je m’arrête un instant sur cette personnalité qui a été déterminante pour ma carrière sportive.
Résistant à 17 ans, le Cdt Guéguen avait la tête dure des Bretons avec toutes ses caractéristiques : opiniâtreté, courage, sens de l’efficacité, mais sans états d’âme… Des qualités propres à un authentique guerrier qu’il fût en Indochine dont il revint avec une blessure par une balle des forces du Viêt Minh à la main gauche et la Légion d’honneur.

En Algérie, toujours dans les troupes aéroportées, il fût un des séides du futur général de corps d’armée Guy Le Borgne et du Colonel Marceau Crespin, lequel fût nommé Directeur des Sports par le général de Gaulle. En un mot, des officiers connus pour leur forte personnalité et leur souci de l’efficacité ainsi que par leur esprit de solidarité.
Ancien champion de pentathlon militaire, le Commandant Émile Guéguen avait reçu pour mission de créer une équipe de pentathlon moderne en vue des JO de Mexico. Il s’est naturellement tourné vers les armées qui semblaient les plus à même de fournir des pentathlètes. Il n’avait pas tort puisque l’équipe de France de pentathlon a été exclusivement composée de militaires pendant plusieurs années ; les civils n’avaient ni l’encadrement ni les infrastructures (comme actuellement à l’INSEP) pour former des compétiteurs de haut niveau.

Donc une directive du Ministère de la Défense, initiée par le colonel Crespin, demandait de recenser les meilleurs sportifs dans les corps de troupe afin de sélectionner ceux qui seraient en mesure de représenter la France aux Jeux Olympiques de 1968.

Le pentathlon militaire n’est pas une discipline olympique, mais sa diversité ressemble au pentathlon moderne qui est une discipline olympique. Aussi, compte tenu de nos bonnes performances en pentathlon militaire, Jean-Pierre Giudicelli et moi sommes retenus pour nous essayer dans cette nouvelle discipline.
Nous découvrons l’escrime et surtout l’équitation. La pratique nouvelle du cheval a été moins difficile que nous pensions. En effet, galoper et sauter des obstacles coiffés du casque Gueneau ne nous impressionnait pas outre mesure. Les chutes et les roulés-boulés font partie intégrante de la formation des parachutistes.

 

Premier stage de pentathlon moderne en 1966

 

Jean-Pierre Giudicelli, que je surnommais Juju, et moi sommes donc retenus pour un stage de pentathlon moderne à Pâques 1966 au CREPS de Talence. Nous y faisons la connaissance de Raoul Guéguen, le fils aîné du Cdt Émile Guéguen ainsi que du lieutenant de cavalerie Christian Châtillon, fraîchement débarqué d’Allemagne où il était en garnison au 5e régiment de hussards. Il y avait également quelques autres militaires venus tester leurs aptitudes comme nous afin de constituer un premier vivier.
Ce stage a été déterminant puisque il était déjà sélectif pour la préparation olympique.
Avec le recul du temps, je remarque que les 4 stagiaires (Châtillon, R. Guéguen, Juju et moi) étions à l’époque l’équipe de France qui est allée aux Jeux deux ans et demi plus tard.
Mais personne ne pouvait prévoir que nous allions vivre cette aventure ensemble.

Nous sommes donc retenus tous les 4 et affectés à la caserne Nansouty à Bordeaux. En effet, le général Katz, commandant la IVe Région militaire qui couvre le quart Sud-Ouest de la France, voulait que les meilleurs pentathlètes militaires soient entraînes dans sa région.
Un entraîneur nous est affecté. Il s’agit de l’adjudant-chef Lacampagne, un maître d’armes de grande qualité, très compétent dans son domaine et en course à pied, mais totalement ignorant dans les trois autres disciplines que sont l’équitation, le tir et la natation. Qu’importe.
Directement sous les ordres du Commandant Guéguen, il était à l’image de ce dernier : tant que nous n’avions pas tout donné, il n’était pas satisfait. Un bourreau de travail à l’entraînement.

 

Des entraînements intenses et une discipline stricte

 

En fait, durant ces 30 mois de vie en commun, Christian Châtillon, Raoul Guéguen, Jean-Pierre Giudicelli et moi-même avons vu défiler beaucoup d’autres sportifs militaires ou civils qui avaient été également présélectionnés pour leurs performances et s’étaient joints à nous pour postuler une sélection olympique.
Il s’agissait essentiellement de militaires. Le Lieutenant Claude Carré et l’adjudant Jean-Paul Guilmard ont été les seuls à avoir pu tenir le rythme intense d’entraînement journalier qui nous était imposé. D’autres pentathlètes, très doués physiquement comme Bénézech ou Soubiran, ont craqué mentalement au bout de quelques mois.
Mais l’engagement et l’implication personnelle de Maitre Lacampagne et surtout du Commandant Guéguen était telle qu’il nous fallait tout donner, tous les jours, sur le mode « marche ou crève ».
Deux exemples : lors de l’épreuve de cross lors du championnat du monde militaire (CISM) organisé à Bordeaux en 1967 qui commençait à 9 heures du matin, réveil des pentathlètes à 4 h et début de l’échauffement à 5 h en footing sur le parcours du cross. Le Cdt Guéguen était présent sur le terrain !

 

Des athlètes proches des cibles à l’entraînement !

 

Autre exemple que m’a rapporté Châtillon. L’année précédente, il était avec Raoul en stage d’un mois à Mexico pour la 2e semaine pré-olympique afin de tester les installations mises en place par les Mexicains.
Le stand de tir à 25 mètres avait été mis à disposition de la France, mais le Cdt Guéguen s’est aperçu qu’il n’y avait encore de mécanisme pour faire tourner le cadre des 5 cibles mobiles sur la fréquence 3’’ d’apparition et 7’’ de disparition. Qu’à cela ne tienne !
Pas question de tirer en vitesse au coup de sifflet comme on fait d’habitude en l’absence de mécanisme.
Il place Raoul en face de la cible 5, Christian sur la cible 2 et va s’agenouiller à côté de la cible 1 pour faire pivoter à la main l’ensemble de la ciblerie, les yeux fixés sur son chronomètre pour respecter le tempo.
20 coups de feu tirés avec un pistolet Herstal calibre 22 LR à 25 m et à moins d’1,5 m d’un homme à genoux. Je n’aurais pas voulu être à la place de Châtillon !
Cette situation est absolument inimaginable aujourd’hui !
Alors avec de tels exemples, il est impossible de ne pas donner son maximum.

Après une année passée à la caserne Nansouty à Bordeaux, toute l’équipe est affectée à l’École Interarmées des Sports à Fontainebleau que le Colonel Crespin vient de créer au camp Guynemer à l’emplacement même qu’occupait l’État-major américain de commandement centre Europe (SACEUR) de l’OTAN que la France vient de quitter.
Le cadre est magnifique au cœur de la forêt, les installations bien adaptées à la pratique du pentathlon (piscine de 25 m, piste d’athlétisme, salles d’armes, stand de tir, équitation au Centre National des Sports Équestres à proximité…)

Une infirmerie tenue par le capitaine-médecin Molinié est installée sur le site pour soigner les petits bobos. En effet, à cette époque, le suivi médical des athlètes était inexistant.
C’était toujours « marche ou crève » ou plutôt « marche ou dégage ».
Nous étions logés sur place avec tous les athlètes des autres disciplines et avions rejoint statutairement le Bataillon de Joinville qui venait de la redoute de Gravelle avec les appelés sportifs de haut niveau. Le Bataillon d’Antibes, chargé de la formation des moniteurs de sports avait également rejoint Fontainebleau.
De la sorte, l’équipe de pentathlon moderne s’est retrouvée, non plus isolée comme à Bordeaux, mais dans une ambiance et dans un site totalement dédié au sport.
Seule contrepartie : quelques contraintes militaires comme les prises d’armes, la garde du camp Guynemer ou des prestations comme celle d’accueillir la flamme à son arrivée à Orly pour les Jeux d’hiver en 1968 à Grenoble.
À ce sujet, le commandement a eu la délicate attention d’envoyer les présélectionnés olympiques de différentes disciplines des Jeux d’été à Grenoble afin de découvrir l’ambiance olympique.
Le Lt Châtillon était d’ailleurs le chef de cette délégation.

 

Les Jeux de Mexico se rapprochent : des résultats peu probants et une gueulante mémorable

 

Hormis ces cas d’exception, nous partagions notre temps entre entraînement intensif en semaine et compétitions, sans guère avoir le temps de souffler. Et plus la date des Jeux se rapprochait, plus intense était la pression.
Je me souviens qu’à Pâques 1968, il y eut deux compétitions simultanées : les championnats du monde militaire (CISM) à Warendorf en Allemagne et les championnats d’Europe à Rome.
Le Cdt Guéguen a donc formé deux équipes : Châtillon et Giudicelli à Warendorf d’un côté et Raoul et moi de l’autre.
C’était le dernier test important 6 mois avant les Jeux de Mexico qui avaient lieu en octobre.
Les résultats des deux équipes s’avèrent plus que médiocres : aucun podium en Allemagne ni en Italie. Le Cdt Guéguen nous convoque tous ensemble et nous engueule sans ménagement et dit qu’on ne travaille pas assez et qu’il faut intensifier l’entraînement.
Je ne voyais pas très bien comment en faire plus sachant que la journée type était la suivante :
7h-8h natation puis petit-déjeuner ; 9 h-11 h escrime ou équitation ; 11 h 30-12 h 30 tir ; déjeuner et repos ; 15 h -16 h 30 natation ou escrime quand ce n’était pas les deux ; 17 h -18 h 30 course.
À l’issue de cette mémorable engueulade, nous nous réunissons pour constater que nous sommes épuisés par ce rythme qui a duré tout l’hiver.
D’un commun accord, nous demandons à Châtillon de plaider notre cause auprès du Cdt Guéguen et lui demander quelques jours de permission. Il a été convaincant puisque cela nous fut accordé.
Après cet incident, nos entraîneurs ont vu leurs effectifs se renforcer. En escrime, Maitre Thirioux qui était capable de donner la leçon à deux mains simultanément à deux pentathlètes a reçu l’appoint de Maitre Oprendek. Maitre, Lacampagne ainsi déchargé se consacrait plutôt à la course. En natation, notre entraîneur, Collairo, a vu l’arrivée du nageur et champion olympique australien Jon Konrads pour nous prodiguer ses conseils techniques. Seul Jean-Jacques Chaffraix est resté notre seul maître de manège.
Par contre nous n’avons pas eu d’instructeur de tir. Paradoxalement, l’armée ne nous a pas dispensé une formation suivie, car cette épreuve est à la fois technique et psychologique.
En technique, nous avions les bases, sans plus.
En psychologie, il y a eu des essais. Notamment nous avions suivi un cours de relaxation par un cabinet spécialisé. Le résultat n’a pas été probant.

Or, il faut savoir que le psychisme joue un rôle primordial dans la maîtrise du tir. C’est la raison pour laquelle la tendance est grande de gommer cette appréhension, pourtant bien compréhensible, par des moyens jugés maintenant illégaux comme l’alcool ou les bêtabloquants.
Je me souviens qu’aux championnats de France à Nice en 1967, le Cdt Guéguen avait décidé qu’il n’y aurait pas de contrôle antidopage. Histoire de voir quels pourraient être les effets potentiels en fonction du choix de chaque pentathlète.
Châtillon m’a dit qu’il avait bu du vin avant le tir, mais que cela n’avait pas eu d’effet sur son résultat.
Je relève quand même qu’aux Jeux de Mexico, la Suède qui avait terminé 3ème par équipe a été déclassée au profit de l’équipe de France arrivée 4e, car l’un des tireurs suédois a été testé positif à l’alcool lors de l’épreuve de tir.
À ce sujet, je me rappelle d’un gendarme de la Garde républicaine à cheval, l’adjudant-chef Lacroix, pentathlète de qualité, car il était de plus maître d’armes et excellent en course à pied et bon tireur, qui n’a jamais pu figurer en équipe nationale, car dès qu’il y avait un enjeu au tir, il perdait systématiquement tous ses moyens.
Le pentathlon demande d’abord et avant tout une bonne, voire très bonne maîtrise dans les 5 disciplines. C’est sa principale difficulté.

 

Une préparation olympique à Font-Romeu déjà

 

Début juillet 1968, l’équipe complète de pentathlon est affectée dans les Pyrénées, au lycée climatique de Font Romeu, créé par le Colonel Crespin, en vue d’habituer les athlètes à l’altitude, car Mexico se trouve à 2240 m au-dessus du niveau de la mer.
Le site de Font Romeu n’est cependant qu’à 1800 m d’altitude mais déjà largement suffisant pour ressentir la raréfaction de l’oxygène. Et également la fraîcheur matinale lorsqu’il s’agit de se mettre à l’eau à 7 h du matin, car le programme d’entrainement n’a pas changé.
Je me souviens avoir croisé certains matins vers 9 h des athlètes comme Roger Bambuck qui descendaient juste de leur chambre pour prendre leur petit-déjeuner avec nous. Il ne voulait pas croire que j’avais déjà nagé environ un kilomètre et enchaîné derrière un footing d’une heure… !
Donc nous étions pensionnaires tout l’été au lycée climatique avec interdiction de descendre au niveau de la mer de même que toutes les vedettes de l’athlétisme ou de la natation que l’on croisait, comme Jean-Claude Nallet, Maryvonne Dupureur, Colette Besson, Francis Luyce,
Christine Caron et bien d’autres. Je me souviens tout particulièrement d’Alain Mosconi, notre espoir du 400m nage libre, qui devait passer les épreuves de son bac cet été.
Ce sont les examinateurs qui sont montés exprès à Font Romeu pour les lui faire passer sur place. Délicate attention !
L’armée avait fait venir notre maître de manège, J.J. Chaffraix, avec un piquet de chevaux. Ce qui m’a donné l’opportunité de côtoyer notre équipe nationale de cavaliers qui étaient venus avec leurs montures. Notamment Marcel Rozier et Quo Vadis B, Jannou Lefèbvre et surtout Pierre Jonquères d’Oriola et Lutteur B, le cheval avec lequel il avait conquis la seule médaille d’or française le dernier jour aux JO de Tokyo 4 ans auparavant. Que du beau monde dans une ambiance sport propice à l’entraînement.

C’est à cette occasion que j’ai découvert la vidéo. En effet, les cavaliers avaient fait venir un break DS 19 rempli d’électronique. Un caméraman filmait les sauts et dès leur descente de cheval, les cavaliers pouvaient visionner à vitesse normale comme au ralenti leur passage sur chaque obstacle et relever ainsi leurs erreurs. Une innovation pour moi.

Inutile de préciser que nous avons beaucoup travaillé tout l’été d’autant qu’il y avait d’autres innovations comme la piste en tartan. C’était la première piste en tartan qui a été construite en France, car c’est avec ce même matériau qu’était faite la piste du stade olympique à Mexico, marquant ainsi la fin de la traditionnelle cendrée.
Cela peut paraître banal avec le recul actuel, mais il a fallu apprendre à courir sur ce matériau où les points d’appui ne sont pas les mêmes. Certes les pentathlètes n’étaient pas directement concernés, car nous faisions du cross en tous terrains. Par contre, lorsqu’on faisait des séances de fractionné sur piste, il était nécessaire de s’y adapter.
Hormis la hantise de me blesser, chute de cheval ou entorse, j’étais tout à mon affaire. Je faisais partie de la sélection pour les Jeux avec Jean-Pierre Giudicelli, Raoul Guéguen et Christian Châtillon. Et c’était un grand pas de franchi après 30 mois de vie commune à Bordeaux, Fontainebleau, Font-Romeu pour la seconde fois sans compter tous les déplacements à travers le monde. L’équipe du CREPS de 1966 avait survécu dans son intégralité tout en ayant vu beaucoup de prétendants défiler pendant cette période.

 

Le départ pour Mexico, la découverte de sportifs impressionnants

 

Nous rejoignons Mexico par un vol spécial afin de rester le moins longtemps possible au niveau de la mer. Contrairement aux autres équipes de France, les pentathlètes et les cavaliers ne sont pas logés au village olympique, mais dans un hôtel avec des chefs de délégations, au prétexte que la distance est moindre pour rejoindre les lieux de compétition.
Personne ne s’en plaindra. Je partage ma chambre avec Juju et Raoul, pendant que Christian partage la sienne avec Marcel Rozier.

La cérémonie d’ouverture des Jeux se déroule dans le stade aztèque plein comme un œuf. Les délégations de sportifs attendent dans un stade annexe en attendant de défiler devant les caméras du monde entier. Ce moment d’attente m’a laissé un souvenir extraordinaire. Nous étions 8500 athlètes du monde entier mélangés entre anonymes et célébrités.
Je me rappelle par exemple de Don Schollander, un nageur américain qui avait remporté 4 médailles d’or aux Jeux de Tokyo. Style le gendre idéal.
J’ai été impressionné par Vassili Alexeiev, cet haltérophile monstrueux vu de près. Il mesurait quelque 1,86 m et pesait 160 kgs ; il avait de tels biceps sous sa veste que je me demandais s’il pouvait déjà se moucher sans la déchirer. De plus, il avait des adducteurs tellement développés qu’il n’aurait sûrement pas pu joindre les talons si on lui avait demandé de se mettre au garde-à-vous. Il marchait donc en se dandinant.
Porte-drapeau de la délégation soviétique, il a fait le tour du stade aztèque en brandissant le drapeau d’un seul bras !!!
Dernier souvenir : un athlète de type mongol, yeux bridés, fine moustache, torse nu, au corps taillé à la serpe, avec un bonnet en fourrure genre léopard, un slip et des bottes de même nature et revêtu d’une cape transparente en tulle rose ! Déjà surprenant. Mais plus encore son aspect bestial faisait penser aux hordes de Gengis Khan dont il devait certainement descendre.
Alors même mort, je crois que je n’aurais même pas osé lui piquer ses bottes.
Bref, sur les quelque 3 milliards et demi d’hommes sur terre en 1968 selon le recensement de l’ONU, je faisais partie de cette élite humaine si diverse.
C’est une sensation que je n’oublierai jamais.

Les épreuves équestres et de pentathlon se déroulent les derniers jours des Jeux. J’en profite donc pour continuer à m’entraîner tout en m’habituant au décalage horaire.
Dans les moments de repos, notre équipe se rendait au stade aztèque dans les tribunes réservées aux athlètes. L’après-midi du 19 octobre 1968, je regardais le début des épreuves d’athlétisme.
C’est alors qu’on a découvert le sauteur en hauteur Richard Fosbury avec son saut dorsal qui a depuis supplanté le traditionnel rouleau ventral et qui lui a valu la médaille d’or. Un saut étonnant.
Mais je n’étais pas au bout de mes surprises.

Mon regard se portait alternativement sur les différents sautoirs (perche, hauteur, longueur) et sur la piste où se déroulaient les éliminatoires. À un moment, commence le concours de saut en longueur. Le deuxième concurrent s’élance ; un grand Afro-Américain (Bob Beamon) longiligne à la course aussi déliée que rapide et qui réalise un bond qui, même vu de loin, m’a paru fabuleux.
Le juge de la planche d’appel lève son drapeau blanc. Le saut est valable. Je suis donc intrigué et curieux de connaître la performance. C’est alors que je vois les juges mexicains dans leur veste couleur lie-de-vin s’agiter en tous sens, mesurer et remesurer avec une chaîne d’arpenteur. Le laser n’existait pas encore.
Un quart d’heure se passe ; le public s’impatiente. Toujours rien d’inscrit sur le panneau lumineux posé sur la pelouse. Et soudain le panneau lumineux affiche 8,90 m. Le sauteur américain vient de pulvériser le record du monde de 55 cms. Le record du monde précédent était détenu conjointement par l’Américain Ralph Boston et le Soviétique Ter Ovanessian avec 8,35 m… Monstrueux.
Il a tué le concours. Personne ne se souvient du second qui était un Allemand avec 8,17 m.

 

Le pentathlon moderne à Mexico, la première médaille du pentathlon français !

 

Je reviens au pentathlon moderne. La veille de la première épreuve, le Cdt Guéguen dévoile le nom des trois titulaires. Son fils Raoul, naturellement ; Ce dernier a toujours été bon et il était, comme son père, un vrai combattant, pugnace, quand bien même il n’avait guère l’esprit d’équipe. Ensuite, vient mon nom. Je suis satisfait. Et contrairement à toute attente, Jean-Pierre Giudicelli est retenu au lieu de Christian Châtillon qui se trouve donc remplaçant.
Tout le monde a respecté le choix du Cdt Guéguen sans aucun commentaire bien que Christian Châtillon ait ressenti quelque légitime frustration, il n’en a rien laissé paraître.
D’ailleurs lors de l’épreuve d’escrime, alors que Juju avait très mal débuté la compétition, Christian est intervenu pour le soutenir de sorte que Juju est redevenu compétitif.

Au final, la France est arrivée 4e par équipe à la remise des médailles, donc au pied du podium. Mais quand le contrôle antidopage a été connu quelques jours plus tard, l’équipe suédoise a été déclassée. Elle a dû rendre les 3 médailles, ce qu’elle a eu l’inélégance de ne pas faire.
En conclusion de ces 30 mois de sacrifices en commun, et en reconnaissance du travail accompli, Raoul, Juju et moi avons été faits chevalier de l’Ordre National du Mérite et décorés à l’Élysée des mains mêmes du général de Gaulle.

Un article d’époque sur la médaille de bronze obtenu par les Bleus

 

Major Lucien Guiguet

 

Vous aurez dans les prochaines semaines un article sur les deux autres médailles olympiques françaises en pentathlon moderne de l’histoire : la 3e place par équipe de Joel Bouzou, Didier Boube et Paul Four en 1984 ainsi que la médaille d’argent en individuel d’Élodie Clouvel mais aussi un bonus pour l’aventure de 1968.

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